Dans leur documentaire "Sexe sans consentement", Delphine Dhilly et Blandine Grosjean donnent la parole à des jeunes femmes qui ont cédé à un acte sexuel alors qu'elles avaient manifesté dans un premier temps leur refus. Une exploration absolument nécessaire de ce qu'est la "zone grise" qui, entre fantasmes et minimisation de l'acte, sert de terreau à la culture du viol.
Comment définir ce qu'est le consentement sexuel ? Si l'on écoute les garçons que la réalisatrice Delphine Dhilly et que la journaliste Blandine Grosjean ont interrogés, la définition du consentement sexuel est on ne peut plus simple. "À partir du moment où deux personnes sont d'accord", explique doctement un jeune homme au début de Sexe sans consentement,
Ce n'est pourtant pas si simple, comme le révèlent les histoires de Natacha, de Floriane, de Juliette, de Célia. Elles ont vingt-deux, vingt-trois ou vingt-cinq ans et ont décidé de témoigner à visage découvert de ce qu'elles ont subi : un rapport sexuel sans violence, mais jamais consenti.
Victimes d'un ami, de leur petit-copain de l'époque ou d'un flirt sans lendemain, elles ont tenté de repousser leurs mains, ont dit non à leurs baisers, puis ont fini par les laisser faire. Par peur, parce qu'elles se sentaient "obligées" ou parce qu'elles étaient tétanisées, en proie à cet état de sidération que vivent les victimes de viol ou d'agression sexuelles.
"Il y a un moment où tu te dis qu'il vaut mieux se laisser faire'"
Bâti sur les témoignages de ces six femmes, Sexe sans consentement explore cette fameuse "zone grise" qui alimente la culture du viol. Parce qu'elles n'ont pas dit explicitement non, ne se sont pas débattues, il serait facile de ranger les expériences sexuelles dans la case du "mauvais sexe" et de passer à autre chose. Le documentaire est là pour nous montrer que non, ce qu'elles ont vécu n'a rien à voir avec une expérience décevante et qu'au contraire, céder à un acte sexuel n'a rien de "normal".
"Il était plus grand que moi, il était plus costaud que moi. [...] À un moment j'ai eu peur. Je me suis dit que si je le repoussais, il n'allait pas me laisser partir. J'avais peur que ça devienne pire, qu'il me force encore plus fort. [...] je n’ai pas compris qu'il continue à m'embrasser, qu'il ne comprenne pas ce que je lui disais, qu'il croit que je plaisante", témoigne Floriane dans le documentaire. "Il y a un moment où tu te dis 'ce n’est pas grave'. Il vaut mieux faire ça, vite, et après s'en aller et oublier, que de s'opposer."
Le documentaire "Sexe sans consentement" de Delphine Dhilly et Blandine Grosjean
"Les filles qui témoignent ne parlent pas forcément de viol et ce n'est pas ce que l'on a voulu démontrer dans le film. Mais la manière dont on perçoit le viol et dont la loi le définit actuellement, fait que de nombreuses situations violentes ne sont pas reconnues comme tel, explique Delphine Dhilly dans un entretien accordé à Madame Figaro. "J'ignore s'il faut parler de 'viol', mais ces situations racontées dans le documentaire, et qu'on ne sait pas vraiment nommer, ne sont pas normales. Il y a bien dans ces moments-là une contrainte, une forme de transgression que l'on a toutes intégrées. La génération actuelle semble en avoir assez de tout cela."
Déconstruire les schémas de séduction
Laissant dérouler la parole des jeunes femmes, Sexe sans consentement brise l'image stéréotypée que beaucoup ont des viols et agressions sexuelles. Celle selon laquelle leurs auteurs sont forcément des hommes violents et armés, qui agissent dans un parking désert ou dans une ruelle sombre, et non un garçon plutôt beau gosse qui profite d'une soirée trop alcoolisée pour forcer sa pote à une relation sexuelle.
Le documentaire est aussi émaillé par des chiffres glaçants, issus notamment d'une enquête menée par Ipsos pour l'association Mémoire Traumatique et Victimologie : 31% des 18-24 ans interrogés pensent qu'une femme peut prendre du plaisir à être forcée à avoir un rapport sexuel. Pour 16% des répondants, avoir un rapport sexuel avec une personne qui dit clairement non mais qui cède quand on la force ne relève pas du viol mais de l'agression sexuelle.
Ces schémas de séduction, imprégnés d'injonctions à la virilité, sont aussi questionnés par Delphine Dhilly et Blandine Grosjean. "On s'est dit que ce serait bien de comprendre les hommes aussi, puisque ces agressions sexuelles ont lieu dans un contexte de séduction, de "malentendu", entre guillemets. On a donc décidé d'intégrer ce choeur, cette chorale de beaux mecs en festivals ou à la plage, qui sont un peu ces garçons dont les filles parlent finalement. On les a questionnés sur la séduction, le consentement et leurs limites", détaille à L'Obs Delphine Dhilly.
Difficile de rester de marbre devant les réponses de certains de ces garçons, dont certains ne voient aucun mal à "travailler au corps" une fille réticente jusqu'à ce qu'elle finisse par céder à ses avances. "Quand une fille dit 'non', je prends ça pour un challenge, j'aime les filles compliquées", affirme ainsi un des jeunes hommes interrogés.
La question du désir au cœur de la notion de consentement
Comment alors en finir avec cette "zone grise" ? Faut-il, comme dans certaines universités américaines, stipuler que tout acte sexuel doit être précédé par un consentement explicite des deux partenaires ? Revoir la définition pénale du viol, qui exclut ces rapports contraints mais soumis sans violence, menace ou surprise ?
Pour Delphine Dhilly, le premier chantier à mettre en branle est celui de l'éducation. Celle des garçons, qu'il faut sensibiliser à la notion de consentement, mais aussi celle des filles, à qui l'on apprend dès toutes petites à être sages, polies, à ne pas faire de vague. "Les femmes doivent prendre en main leur désir et leur corps et les hommes doivent en finir avec l'injonction de la virilité. L'éducation sexuelle devrait aussi davantage aborder la question du désir. Au final, s'il n'y a plus de risque d'être prise pour 'une fille facile' quand on dit 'oui', alors il n'y a plus de Dom Juan non plus. Il reste juste des hommes et des femmes qui se désirent à un moment donné et qui décident de faire l'amour."